Coopération et recherche scientifique : pourquoi collaborer en science ? Avantages et illustrations

Comment la recherche et la coopération scientifiques apportent-elles paix et progrès à l’humanité ? Six exemples d’initiatives soutenues par l’UNESCO : CERN, ICTP...
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Dernière mise à jour27 juin 2022

La nécessité d’une collaboration scientifique plus forte

Ce fut l’une des plus vieilles énigmes de l’histoire de l’art. Durant des siècles, personne n’a été en mesure d’affirmer avec certitude que le tableau « la Vierge à l’Enfant », souvent attribué à Raphaël, a été créé des mains du grand maître de la Renaissance en personne.

Au cours de cette période, la peinture a changé de propriétaire à plusieurs reprises. Elle a appartenu à la papauté, a été pillée par Napoléon au cours de la campagne d’Italie, pour finir dans une collection privée à Prague, dans les années 30, loin des yeux du public.

L’œuvre a virtuellement sombré dans l’oubli jusqu’en 2020, lorsqu’un robot scanner, doté d’un détecteur de particules développé par le CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, a confirmé que les coups de pinceau sur la toile étaient bel et bien ceux de Raphaël.

L’authentification de la peinture de Raphaël au moyen de la détection de particules constitue l’une des nombreuses découvertes des laboratoires du CERN basés en Suisse, passée dans la vie courante, à l’instar d’Internet et des scanners médicaux.

Depuis sa création en 1954 sous l’égide de l’UNESCO, le complexe — une des plus grandes installations scientifiques au monde — accueille des scientifiques, ingénieurs et étudiants issus des 21 États membres du CERN ainsi que des spécialistes venus d’autres pays.

Après plus de six décennies, le CERN est devenu l’un des exemples les plus remarquables de coopération scientifique à succès au monde. Sa création a été l’une des premières grandes initiatives en science et diplomatie scientifique à l’UNESCO, ainsi qu’une réponse diplomatique encourageant à rechercher les avantages d’un usage pacifique de l’énergie atomique, à la suite de la destruction engendrée par la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le CERN est devenu un modèle de coopération en matière de recherche, incarnant l’approche « une terre » dont le monde a besoin afin de s’attaquer aux défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés.

 Les lieux tels que le CERN contribuent à apporter un savoir, qui, non seulement enrichit l’humanité, mais constitue également une source d’idées qui donneront naissance aux technologies du futur. 

Fabiola GianottiDirectrice générale du CERN

La voie de la diplomatie scientifique

La Seconde Guerre mondiale venait tout juste de prendre fin lorsque l’idée de laboratoires scientifiques a commencé à se dessiner sous les auspices de l’UNESCO. On pensait alors qu’une telle entreprise rapprocherait les États belligérants, rebâtirait la coopération et permettrait d’atteindre l’excellence scientifique.

La proposition du lauréat américain du prix Nobel de physique, Isidor Rabi, a donné lieu à la fondation du CERN quatre ans plus tard.

Alors que le monde se remettait des ravages de la guerre, l’idée d’une diplomatie scientifique gagnait peu à peu du terrain. En août 1955, la Conférence internationale des Nations Unies sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques, connue sous le nom « des atomes pour la paix », s’est tenue à Genève, avec la participation d’une délégation de l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) incluant un certain nombre de scientifiques. Pour la toute première fois, une vaste délégation scientifique soviétique travaillant sur la physique des particules prenait part à une conférence scientifique à l’Ouest. Ce symposium a offert la possibilité à un grand nombre d’entre eux de nouer des contacts. Plusieurs physiciens soviétiques ayant assisté à la conférence ont par la suite occupé des postes importants dans leur pays et leurs travaux ont commencé à être traduits en anglais et publiés en Occident.

En se basant sur le modèle du CERN, la coopération mondiale entre scientifiques est devenue l’une des missions principales de l’UNESCO, ouvrant la voie au soutien d’autres institutions combinant excellence et diplomatie scientifique. Cette dernière permet d’établir des connexions et de renforcer les relations entre les sociétés, en particulier lorsqu’il n’existe aucune autre approche officielle. La science est alors utilisée pour renforcer ou nouer des liens entre des pays dont les relations sont tendues, voire inexistantes.

 L’UNESCO devrait être le catalyseur de la science à travers le monde. Je ne dis pas que l’Organisation devrait diriger les centres de recherches, mais qu’elle devrait en poser les jalons, contribuer à leur ouverture et s’assurer qu’ils continuent d’opérer. 

Isidor Rabilauréat américain du prix Nobel de physique

Communauté scientifique : un pont entre l’Est et l’Ouest

Même si la guerre froide a continué de s’intensifier, les projets de coopération scientifique ont pu démontrer la capacité d’une telle coopération à forger des liens entre les pays et les collègues au-delà des considérations politiques et religieuses.

Dix ans après la naissance du CERN, l’UNESCO a soutenu la création d’un autre projet offrant un axe de communication inédit entre des scientifiques de l’Est et de l’Ouest.

En 1960, Abdus Salam, physicien pakistanais âgé de 34 ans et futur lauréat du prix Nobel, a suggéré la création d’un institut international de physique théorique afin de faire progresser l’expertise scientifique.

Abdus Salam était convaincu que « la pensée scientifique et son origine sont l’héritage commun de l’humanité ». Cependant, à l’époque, les chercheurs des pays en développement tout comme ceux des petits pays développés se trouvaient souvent dans l’incapacité d’améliorer leurs connaissances et de développer leurs compétences.

Sa proposition est devenue réalité en 1964, lorsque le Centre international de physique théorique (ICTP) a été créé à Trieste en Italie, par le biais d’un accord entre l’UNESCO, le gouvernement italien et l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Pendant des décennies, l’ICTP a mis à disposition des pays en développement la formation continue ainsi que les compétences nécessaires à l’avancement de leur carrière. Nombre d’anciens élèves enseignent au sein de grandes universités dans leur pays, dirigent d’importants centres de recherche et ont été salués pour les contributions scientifiques.

Autre exemple de coopération scientifique internationale : une vision mondiale pour le sol de la Terre

Au milieu des vagues successives de décolonisation en Afrique et en Asie, les années 60 sont devenues la décennie du développement des Nations Unies. À l’époque, l’érosion des sols — et la menace qu’elle représentait pour l’approvisionnement alimentaire mondial — constituait l’une des principales préoccupations des écologistes, tout comme le réchauffement climatique l’est aujourd’hui pour les citoyens du XXIe siècle.

Le monde avait besoin d’une carte mondiale afin d’obtenir une évaluation globale de ses ressources en sols. Cependant, il n’existait aucune classification internationale des sols à l’époque. En réalité, de nombreux pays disposaient de différentes classifications régionales concurrentes ou se trouvaient en passe de développer leurs propres systèmes nationaux. Seule une collaboration internationale pourrait produire des connaissances fiables et légitimes à l’échelle mondiale permettant de mettre un terme au désordre terminologique qui avait jusqu’alors compromis la communication scientifique internationale.

La carte des sols du monde, soutenue par l’UNESCO et par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a été lancée en 1961 — tout juste quelques mois avant que le président Kennedy ne proclame que les années 60 étaient la décennie du développement lors de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Ce projet herculéen, réalisé sur une période de vingt ans et désormais disponible en version numérique, est le fruit d’une collaboration mondiale entre de nombreux pédologues originaires de différents pays ayant travaillé ensemble à l’élaboration d’un nouveau système de classification international. Ce dernier constituait jusqu’ici l’unique panorama des ressources en sols de la planète ainsi qu’une illustration concrète du pouvoir de la collaboration scientifique permettant d’unir le monde.

Avantages d’une collaboration scientifique : humanité et biosphère

À la fin des années 60 et au début des années 70, les difficultés environnementales à l’échelle mondiale occupaient une place centrale. Le boom économique de l’après-guerre a ouvert la voie vers une consommation effrénée d’énergies non renouvelables, des niveaux de pollution plus importants et la perte potentielle d’habitats naturels.

En 1971, quelque 4 000 scientifiques du monde entier ont averti le Secrétaire général des Nations Unies, dans le « message de Menton », du fait que la population mondiale de l’époque était déjà nettement supérieure aux ressources disponibles.

Comment les êtres humains pourraient-ils continuer à se développer tout en préservant la biodiversité qui les entoure ? Afin de contribuer à répondre à cette question, l’UNESCO a lancé le Programme sur l’Homme et la biosphère (MAB) en 1971.

Un an avant la conférence historique de Stockholm, qui a donné naissance au concept de développement durable, le Programme de l’UNESCO sur l’Homme et la biosphère a proposé la création de zones dédiées à la conservation de la nature à travers un développement socio-économique durable, où les cultures et les traditions locales seraient respectées. Il s’agissait sans nul doute d’une approche révolutionnaire de la conservation de la nature, affirmant que la protection de cette dernière ne rimait pas avec création de parcs et de réserves isolés et immaculés, mais avec développement et promotion de pratiques durables afin de gérer les ressources et vivre en harmonie avec la nature. Ces lieux ont été baptisés réserves de biosphère. Depuis la naissance du programme, les réserves ont mis en valeur la coexistence pacifique et équilibrée de l’homme et la nature, le développement de la société et le respect du patrimoine naturel et géologique. Chaque réserve soutient des projets appartenant à une variété de domaines, tels que le tourisme durable, la production biologique et, principalement, la recherche scientifique.

Grâce au MAB, l’UNESCO offre une plateforme unique de coopération en matière de recherche et de développement, de renforcement des capacités et de mise en réseau permettant de faire circuler des informations à travers 727 réserves de biosphère réparties dans 131 pays (en 2021), recensant 260 millions d’habitants. Les expériences et les réserves de biosphère représentent des « moyens d’apprendre le développement durable ». Elles démontrent qu’il est possible de vivre en harmonie avec la nature, et développent des pratiques et des compétences afin de réconcilier les hommes et la planète.

Comment les scientifiques collaborent-ils ? La science au service de la paix au Moyen-Orient

Les pays du Moyen-Orient partagent de nombreuses caractéristiques, telles que la langue, la religion, l’histoire, la culture et les aspirations communes. Cependant, l’histoire récente indique que le développement de la région a été ralenti par l’instabilité politique et les conflits.

Réunir ces pays en vue de créer une organisation intergouvernementale capable de mettre de côté les différences historiques et politiques au nom de la science est devenu la mission de l’UNESCO pour le nouveau millénaire.

En dépit des nombreux défis, le Centre international de rayonnement synchrotron pour les sciences expérimentales et appliquées au Moyen-Orient (SESAME) est devenu une réalité en 2017.

Basé en Jordanie, ce laboratoire permet aux membres de la communauté scientifique de la région de mener des recherches scientifiques d’envergure internationale dans plusieurs domaines allant de la biologie à l’archéologie.

Cette coopération scientifique de haut vol contribue à favoriser la culture de la paix dans la région. Les scientifiques des huit pays membres au complet — Chypre, l’Égypte, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Pakistan, la Palestine et la Turquie — travaillent ensemble au sein de la communauté SESAME, prouvant ainsi que la science peut jouer le rôle de langue commune.

 Nous nous efforçons d’instaurer une compréhension dans la région par le biais de la science. Le projet est très spécial. Chacun d’entre nous apporte sa propre histoire, ses propres blessures, ses propres cicatrices. Chacun d’entre nous a ses propres intérêts, pourtant nous avons une vision commune : profiter aux habitants de la région et à l’ensemble de l’humanité. 

Eliezer RabinoviciPrésident du Comité israélien pour le SESAME

Collaboration et innovation scientifiques ouvertes au service d’un avenir durable

L’humanité demeure confrontée à des défis complexes que les gouvernements et les communautés sont incapables de relever seuls.

La pandémie de COVID-19 a souligné la nécessité de renforcer la coopération, en nous rappelant, une fois de plus, que nous sommes tous résidents d’une seule et même planète. La vitesse record à laquelle les vaccins contre la COVID-19 ont été développés s’explique en partie par la collaboration scientifique mondiale.

Selon la grande majorité des dirigeants mondiaux, la collaboration scientifique est essentielle pour répondre aux menaces imminentes telles que la perte de biodiversité, la pollution, la réduction de la pauvreté et l’introduction de nouvelles technologies révolutionnaires, notamment l’intelligence artificielle.

Afin de relever les défis complexes du XXIe siècle, la science doit être plus transparente, plus accessible et plus inclusive. Elle doit s’ouvrir.

Près de 70 % des publications scientifiques dans le monde font l’objet d’un accès payant ou restreint. Durant la crise sanitaire, cette proportion est tombée à 30 % pour les publications consacrées à la pandémie de COVID-19. Cela semble indiquer que la science peut être plus transparente et mieux partagée pour accélérer la recherche au bénéfice de tous.

Le partage de données scientifiques à l’échelle mondiale est un formidable accélérateur de recherche : il n’a fallu que 3 jours pour décoder le génome du coronavirus, grâce à une collaboration sans précédent entre les chercheurs, au-delà des frontières.

Grâce à la science ouverte, les scientifiques et les ingénieurs peuvent se servir de licences ouvertes afin de diffuser plus largement leurs publications, leurs données, leurs matériels de recherche et leurs infrastructures.

En ouvrant la science traditionnelle à d’autres systèmes de connaissances, cette dernière peut être enrichie par les échanges avec des groupes autochtones et marginalisés, dans l’intérêt de l’ensemble des populations mondiales.

En 2021, l’UNESCO a adopté la première recommandation mondiale pour une science ouverte, afin que la connaissance ne soit plus le privilège d’une minorité, mais un bien commun accessible de façon plus équitable.

De nombreux scientifiques se sont déjà joints à l’UNESCO afin d’élaborer la première recommandation internationale sur la science ouverte, établissant des normes mondiales pour faire de la science ouverte une réalité qui ne laisse personne de côté.

Cependant, le progrès scientifique incontrôlé n’est pas toujours acceptable d’un point de vue éthique.

Le rythme soutenu du développement scientifique n’engendre pas nécessairement de discussions sur son impact potentiel sur la société. Pour répondre à ces préoccupations, l’UNESCO s’engage depuis les années 70 à promouvoir la réflexion internationale sur l’éthique des sciences de la vie, ce qui a donné lieu à la création du Programme sur l’éthique de la science et de la technologie dans les années 90.

L’Organisation considère le génome humain comme le « patrimoine de l’humanité », qui devrait être protégé et transmis aux générations futures. Tous les progrès scientifiques doivent être examinés à la lumière des droits de l’homme.

Les initiatives de l’UNESCO en faveur de la science Chronologie de nos initiatives

Chronologie de nos initiatives

1954

CERN — Repousser les limites de la technologie

Chaque jour, des milliers d’ingénieurs, de techniciens et de scientifiques travaillent à l’élaboration de nouvelles technologies et d’une expertise pouvant être partagées avec la société.

Le CERN collabore également avec l’industrie — grandes entreprises, PME ou start-ups — ainsi que d’autres parties prenantes, telles que les décideurs politiques, en particulier ceux qui sont actifs au sein des États membres du CERN.

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1961

Carte FAO/UNESCO des sols du monde

La carte numérique des sols du monde de la FAO est la version dématérialisée de la carte FAO/UNESCO des sols du monde produite en version papier à l’échelle de 1 : 5 000 000. Elle montre 4 931 unités cartographiques reposant sur des associations de sols constituant des mélanges de différents types de sols.

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1964

ICTP

Le Centre international de physique théorique (ICTP) Abdus Salam est un institut international de recherche en sciences physiques et mathématiques, régi selon un accord tripartite entre le gouvernement italien, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

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1971

Réseau mondial des réserves de biosphère

Le Réseau mondial des réserves de biosphère du programme MAB de l’UNESCO est un réseau de réserves de biosphère offrant des solutions de développement durable dans des contextes écologiques, sociaux et économiques variés. Elles favorisent l’intégration harmonieuse de l’homme et de la nature garantissant un développement durable à travers le dialogue participatif ; le partage de connaissances ; la réduction de la pauvreté et l’amélioration du bien-être humain ; le respect des valeurs culturelles et de la capacité de la société à s’adapter au changement — contribuant ainsi à l’Agenda 2030 et à ses Objectifs de développement durable (ODD).

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2017

SESAME

Le centre international de recherche scientifique SESAME, source de rayonnement synchrotron compétitive et unique en son genre au Moyen-Orient et dans les pays voisins, a été inauguré à Allan, en Jordanie, le 16 mai 2017. Ce projet avant-gardiste mis sur pied sous la houlette de l’UNESCO, est le fruit de quatorze années de travail acharné, réunissant huit pays autour d’un double objectif : consolider l’excellence scientifique de la région et instaurer une collaboration transfrontalière, un dialogue et une compréhension entre des scientifiques aux origines culturelles, politiques et religieuses diverses.

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2021

Le premier cadre international sur la science ouverte a été adopté par les 193 pays participant à la Conférence générale de l’UNESCO. En rendant la science plus transparente et plus accessible, la Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte permettra à la discipline d’être plus équitable et plus inclusive. Avec la science ouverte, les scientifiques et les ingénieurs emploient des licences ouvertes pour partager plus largement leurs publications, leurs données, leurs logiciels et même leur matériel. La science ouverte devrait donc renforcer la coopération scientifique internationale.

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