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Rêver de données pour la viabilité des médias

Le débat se poursuit sur les données pouvant aider les organes d'information à relever le défi de la viabilité économique.
Media viability

Des experts des médias d'Amérique latine et du monde entier ont partagé leurs réflexions sur le sujet à l’occasion de la Conférence de la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui s'est tenue en Uruguay du 2 au 4 mai.

Organisée par le Programme international pour le développement de la communication (PIDC) de l'UNESCO, la discussion s'est déroulée dans le cadre d'un atelier intitulé : « Les médias d'information veulent de l'argent de la part des sociétés de l’Internet - qu'en est-il de l'accès aux données ? ».

Les participants se sont appuyés sur des discussions antérieures organisées par l'UNESCO et l'Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d’information.

Le fil conducteur est de développer les éléments d'une « demande de données » en lien avec les grandes entreprises de l'Internet qui servent d'intermédiaires entre ceux qui fournissent le contenu des informations et ceux qui le consomment.

Actuellement, nous ne connaissons pas l'avantage de la présence de nos actualités sur ces plateformes. J'ai l'impression que nous avançons à l'aveugle. Nous ne savons pas à qui appartiennent les publicités qui apparaissent à côté de nos contenus, ni comment les citoyens traitent nos informations.

Martha RamosPrésidente de la Commission Internet de l'Association interaméricaine de la presse et Directrice de l’Organisation éditoriale mexicaine

Tangeni Amapudi, Rédacteur en chef et Directeur général du journal The Namibian, a fait écho à ce point de vue depuis l'autre côté de l'Atlantique, à Windhoek : « À l’heure actuelle, je ne peux que faire des suppositions car j’ignore qui consulte nos informations sur les plateformes et où se trouvent ces lecteurs ».

Auparavant, la publicité était placée dans un contexte médiatique. Dorénavant, elle s’appuie sur la prédiction comportementale. Pourtant, les sociétés de presse ne peuvent pas collecter autant de données comportementales que les réseaux sociaux.

Marcelo LiberiniVice-Président de Digital de Caracol Televisión, Colombie

M. Liberini a exhorté les organes de presse à ne pas demander l'accès aux espaces protégés de données détenues par les sociétés de l’Internet, mais à se concentrer sur la création d'opportunités décentralisées du Web 3.0.

Une approche « fédérée » dans l'ensemble du secteur, prévoyant une anonymisation adéquate, pourrait permettre l'exploitation des données que les organes de presse détiennent déjà à partir de leurs propres services en ligne directs, a suggéré M. Liberini.

« Nous devons avoir accès à des données pertinentes pour comprendre les tendances et les transactions du commerce électronique », a déclaré Mme Yeama S. Thomson, Directrice générale de l’agence de presse de Sierra Leone (SLENA). Son pays travaille également sur une feuille de route nationale pour promouvoir l'investissement et la viabilité des médias.

M. Ilias Konteas, Directeur exécutif de l’European Newspaper and Magazine, a indiqué que l'accès aux données pouvait objectivement éclairer les négociations lorsque les organes de presse négocient avec les sociétés de l’Internet pour obtenir une part des revenus en ligne. « Cet accès devrait être non discriminatoire », a-t-il ajouté.

D'autres points ont été abordés au cours de la discussion :

  • L'accès aux données détenues par les sociétés de mesure d'audience serait également important ;
  • Au-delà des plateformes de réseaux sociaux, des entreprises comme Twitch qui diffusent des sports en direct pourraient également présenter un intérêt ;
  • Les sites de rencontres dont les publicités apparaissent à côté de certains contenus d'actualité pourraient être pertinents.

Il a également été signalé que les annonceurs eux-mêmes avaient tout intérêt à ce que les mesures utilisées par les sociétés de l’Internet pour vendre, placer et facturer les publicités soient plus transparentes.

« L'accès aux données est une bonne chose, mais qu'en est-il de l'utilisation et de l'assimilation des données ? « Nous avons besoin de plus qu'une décharge de données », a déclaré M. Amapudhi.

Les intervenants ont fait remarquer que les organes d'informations devraient embaucher des personnes capables de traiter les données, et ont mis en garde contre l'intensification des inégalités au sein du secteur concernant les différentes capacités à investir dans l'analyse et les mesures numériques. On s'est inquiété du fait que les spécialistes des données étaient déjà très demandés et qu'ils n'étaient pas disponibles pour travailler dans les petites sociétés de presse.

Il a été souligné que les données pouvaient être considérées comme un bien public et que cela pouvait soutenir la viabilité des médias comme organes d'information en tant que bien public.

Il a été suggéré que, dans cette optique, une entité indépendante, financée par les sociétés de l’Internet, pourrait aider les organes d'information à obtenir et à analyser les données qui pourraient contribuer à assurer la viabilité du journalisme.

Les accords sur les données conclus avec les grandes entreprises devraient inclure l'accès à des analystes et à des scientifiques, a-t-on suggéré au cours de la discussion.

Le PIDC mène une initiative à multiples facettes visant à promouvoir la recherche, le dialogue, l'innovation et les solutions politiques pour faire face aux pertes d'emplois et aux fermetures dans les médias et pour stimuler de nouvelles opportunités durables afin d'améliorer l'offre de journalisme de qualité aux sociétés.

D'autres consultations avec les organes d’information sont envisagées, qui aboutiront à un rapport au Conseil du PIDC et à d'éventuelles discussions ultérieures directement avec les sociétés de l’Internet.

Cette initiative intervient à un moment où des pressions réglementaires de plus en plus fortes s'exercent dans l'Union européenne et aux États-Unis pour que les sociétés accordent un meilleur accès aux données aux acteurs habilités.